Quelle vidéosurveillance dans une habitation privée ?

Guidance

Il arrive régulièrement que des particuliers installent des caméras de vidéosurveillance pour surveiller leur habitation privée avec ses alentours. La CNPD souhaite rappeler le cadre légal applicable à l’installation par des particuliers de telles caméras de vidéosurveillance.

Tout d’abord, il faut distinguer les caméras destinées à filmer les alentours d’une habitation privée (par exemple le jardin), et celles qui filmeraient l’intérieur d’une habitation privée.

1.    Les caméras filmant l’extérieur d’une habitation privée

De manière générale, les traitements de données effectués par une personne physique dans le cadre d’une activité strictement personnelle ou domestique ne rentrent pas dans le champ d’application du règlement général sur la protection des données (ou « RGPD »)[1].

Cela veut dire qu’un particulier peut installer une caméra de vidéosurveillance pour filmer l’extérieur de son habitation privée, tant que cela reste dans le cadre de ses activités personnelles ou domestiques.

Tel est le cas tant que le champ de vision des caméras de vidéosurveillance reste strictement limité à la propriété privée comme p.ex. au jardin, aux abords, entrées, accès ou aux alentours immédiats de son habitation privée.

Par contre, un particulier ne peut pas installer une caméra de vidéosurveillance qui filmerait l’espace public comme p.ex. le trottoir ou la rue ou le terrain d'un voisin et qui, de ce fait, serait dirigé en dehors de la sphère privée de la personne traitant les données. Un tel traitement tomberait donc sous le champ d’application du RGPD et serait à considérer comme disproportionné.

En effet, la Cour de Justice de l'Union Européenne (ou « CJUE ») a confirmé [2] que le fait de diriger une caméra de vidéosurveillance vers la voie publique pour surveiller les intrus susceptibles d'entrer chez soi viole la directive de 1995 sur la protection des données à caractère personnel, qui était en place avant l’entrée en application du RGPD.

Dans cette affaire, M. Ryneš et sa famille ont fait l’objet d’attaques plusieurs fois par un inconnu et, en outre, les fenêtres de leur maison ont été brisées à différentes reprises. En réponse à ces agressions, M. Ryneš a installé sur la maison de sa famille une caméra de surveillance qui filmait l’entrée de celle-ci, la voie publique ainsi que l’entrée de la maison d’en face.

Au cours de la nuit du 6 au 7 octobre 2007, une fenêtre de cette maison a été brisée par un tir de projectile au moyen d’une fronde. Les enregistrements de la caméra de surveillance remis à la police ont permis d’identifier deux suspects contre lesquels des procédures pénales ont été engagées.

L’un des suspects a toutefois contesté auprès de l’Office tchèque pour la protection des données à caractère personnel (équivalent de la CNPD en République tchèque) la légalité du traitement des données enregistrées par la caméra de surveillance de M. Ryneš. L’Office a constaté que M. Ryneš avait effectivement violé les règles en matière de protection des données à caractère personnel et lui a infligé une amende. À cet égard, l’Office a relevé, entre autres, que les données du suspect avaient été enregistrées sans son consentement alors qu’il était sur la voie publique, c’est-à-dire dans la portion de la rue située devant la maison de M. Ryneš.

La Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé l’analyse de l’Office tchèque pour la protection des données, en considérant tout d’abord que l’image d’une personne enregistrée par une caméra constitue une donnée à caractère personnel, car elle permet d’identifier la personne concernée. De même, la vidéosurveillance comprenant l’enregistrement et le stockage de données à caractère personnel relève du champ d’application de la directive, puisqu’elle constitue un traitement automatisé de ces données.

En second lieu, la Cour constate que l’exemption prévue par la directive de 1995 sur la protection des données à caractère personnel, qui était en place avant l’entrée en application du RGPD, au sujet du traitement de données effectué par une personne physique pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques doit être interprétée de manière stricte. Ainsi, une vidéosurveillance qui s’étend à l’espace public et qui, de ce fait, est dirigée en dehors de la sphère privée de la personne traitant les données ne peut pas être considérée comme « une activité exclusivement personnelle ou domestique ».[3]

 

Que faire si je constate qu’un particulier filme la voie publique ?

Il vous est loisible d’introduire une réclamation auprès de la CNPD, de préférence en y annexant des preuves d’une telle vidéosurveillance, par exemple une photographie des caméras litigieuses. Toutefois, les moyens d’action de la CNPD dépendent de ce qui est fait avec les images ou enregistrements vidéo.

  1. Si les images ou vidéos sont partagées ou diffusées, par exemple sur internet, alors la CNPD pourrait exiger le retrait des images litigieuses si des personnes physiques sont identifiables sur base de ces images et qu’elles sont publiées sans leur consentement.
  2. Si par contre, les images ou vidéos ne sont pas partagées ou diffusées, alors les pouvoirs d’actions de la CNPD seront plus limités. En effet, la CNPD n’est pas habilitée à procéder à des contrôles dans des locaux privés d'habitation. Elle pourrait tout au plus sensibiliser le particulier en question sur les règles en matière de protection des données.

De même, les pouvoirs d’actions de la Police grand-ducale sont limités, dans la mesure où il n’existe pas à la connaissance de la CNPD de disposition pénale spécifiquement applicables à ce cas de figure. Il ne sera donc pas utile ou efficace d’introduire une plainte auprès de la Police, à moins que la vidéosurveillance ne soit associée à un comportement sanctionné par une infraction pénale distincte.

Que faire si je constate que mon voisin filme ma propriété ?

Trois possibilités d’action s’offrent à vous :

  1. Il vous est loisible d’introduire une réclamation auprès de la CNPD, de préférence en y annexant des preuves d’une telle vidéosurveillance, par exemple une photographie des caméras litigieuses. Toutefois, si les images ou vidéos issues de ces caméras ne sont pas partagées ou diffusées, alors les pouvoirs d’actions de la CNPD seront limités. En effet, la CNPD n’est pas habilitée à procéder à des contrôles dans des locaux privés d'habitation. Elle pourrait tout au plus sensibiliser le particulier en question sur les règles en matière de protection des données.
  2. Vous pouvez introduire une plainte auprès de la Police grand-ducale. Il existe en effet une disposition pénale qui punit quiconque aurait volontairement porté atteinte à l’intimité de votre vie privée en vous observant dans un lieu non accessible au public et sans votre consentement[4]. Contrairement à la CNPD, la Police peut intervenir sur place. Il vous est également loisible d’introduire une plainte avec constitution de partie civile au parquet.
  3. Si les caméras ont été installées dans le contexte d’un conflit de voisinage, il pourrait être utile de s’adresser aux services de médiation de voisinage de votre commune, s’il en existe un[5].

2.     Les caméras filmant l’intérieur d’une habitation privée

De manière générale, les traitements de données effectués par une personne physique dans le cadre d’une activité strictement personnelle ou domestique ne rentrent pas dans le champ d’application du règlement général sur la protection des données (ou « RGPD »)[6].

Cela veut dire qu’un particulier peut installer une caméra de vidéosurveillance pour filmer l’intérieur de son habitation privée, à condition de respecter le droit des personnes travaillant à son domicile.

Il est donc possible d’installer une caméra, même si des personnes physiques sont amenées à se trouver dans son champ de vision (famille, amis, visiteurs occasionnels, etc.).

Par contre, les personnes étant amenées à travailler dans l’habitation privée d’un particulier (aide à domicile, homme ou femme de ménage, etc.) ont droit au respect de leur vie privée et bénéficient à ce titre d’une protection. Il n’existe cependant pas de disposition précise en droit luxembourgeois qui indique dans quels cas de figure une caméra de vidéosurveillance pourrait ou non être installée pour filmer l’intérieur d’une habitation privée lorsqu’une personne est amenée à y travailler. Le particulier qui souhaiterait installer une caméra de vidéosurveillance devra dans ce cas prendre en considération les éléments suivants :

  • les finalités de la vidéosurveillance (pourquoi la caméra sera-t-elle installée ?) : par exemple, s’agit-il d’une finalité de sécurité, ou s’agit-il de surveiller le travailleur intervenant à domicile ?
  • la durée et la fréquence de l’intervention : est-ce qu’il s’agit d’une intervention de courte ou de longue durée, d’un travail ponctuel, ou systématique/régulier ?
  • la nature de la relation de travail : est-ce que le travailleur intervient comme travailleur indépendant, comme salarié du particulier qui souhaite installer la caméra de vidéosurveillance, ou comme salarié d’un prestataire externe ?
  • le partage des images : est-ce que les images sont publiées ou transmises à une personne autre que celle qui a installé les caméras ?

Que faire si je suis filmé en permanence lorsque j’interviens comme travailleur dans l’habitation privée d’un particulier ?

En fonction des cas de figure, plusieurs possibilités s’offrent à vous :

  1. Il vous est loisible d’introduire une réclamation auprès de la CNPD, de préférence en y annexant des preuves d’une telle vidéosurveillance, par exemple une photographie des caméras litigieuses. L’analyse de la CNPD dépendra des finalités de la vidéosurveillance (les images de la caméra ont-elles été utilisées pour surveiller en permanence votre travail?), la durée et fréquence de l’intervention (plus celles-ci seront importantes, plus le risque que cette vidéosurveillance soit considérée comme disproportionnée augmente), et la nature de la relation de travail (le fait d’être salarié du particulier entraîne un déséquilibre plus important des relations). Si nécessaire, la CNPD prendra contact avec le particulier afin de le sensibiliser aux règles en matière de vidéosurveillance. Cependant, la CNPD n’est pas habilitée à procéder à des contrôles dans des locaux privés d'habitation. Cette prérogative reste de la seule compétence des autorités judiciaires conformément au Code de procédure pénale. La CNPD ne sera donc pas en mesure d’intervenir sur place.
  2. Si vous êtes salarié du particulier en question, vous pouvez introduire une plainte auprès de la Police grand-ducale. Il existe en effet une disposition pénale qui punit le défaut de condition de licéité ou d’information préalable dans le cas de traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance des salariés dans le cadre des relations de travail[7]. Contrairement à la CNPD, la Police peut intervenir sur place. Il vous est également loisible d’introduire une plainte avec constitution de partie civile au parquet.
  3. Si vous n’êtes pas salarié du particulier mais d’un organisme tiers pour le lequel vous prestez des services au domicile de ce particulier dans le cadre de votre contrat de travail, vous pouvez signaler à votre employeur la présence de ces caméras. Une solution alternative, moins intrusive en termes de protection des données, serait par ailleurs qu’il soit possible de pouvoir désactiver le système de vidéosurveillance dans l’habitation privée pendant la durée de la prestation de service.

Proposition de « next steps » en cas de validation de la guidance (le cas échéant modifiée) par le collège

Insérer cette guidance dans le dossier thématique « surveillance ».

Créer une actualité sur notre site internet pour informer le grand public de la publication de cette guidance.

Adapter des modèles de réponses aux demandes d’informations portant sur la vidéosurveillance dans le contexte d’une habitation privée (en particulier en cas de présence de travailleurs dans l’habitation privée).

 

[1] Article 2.2.c. du RGPD.

[2] Dans son arrêt sur l'affaire Ryneš (C-212/13) rendu le 11 décembre 2014.

[3] Résumé des faits inspiré du communiqué de presse de la CJUE n° 175/14 du 11 décembre 2014, disponible à l’adresse suivante : https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-12/cp140175fr.pdf

[4] Article 2, 2o de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée.

[5] Vous en trouverez une liste à l’adresse suivante : https://www.mediation.lu/liens/mediation-de-voisinage-au-luxembourg/

[6] Article 2.2.c. du RGPD.

[7] Article L.261-2 du Code pénal.

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